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 Vous êtes ici: Accueil >  Sommaire des numéros parus >  Année 2006 >  N° 77 janvier 2006

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        Lecture dans le 93

        Les librairies indépendantes

        Alors que le journal Le Monde, dans son supplément “livres” du 6 janvier 2006 qualifie 2005 de “mauvaise année pour la librairie indépendante” dans une étude de la situation nationale de ces librairies, Le Poivron se penche sur la situation dans le 93, à partir d’une étude que Claire Pessin-Garric, vice-présidente du conseil général en charge de la culture, a bien voulu nous communiquer.

    Un rapport commandé par le Conseil général de Seine St Denis et réalisé par le laboratoire des sciences de l’information et de la communication PARIS XIII, UFR communication, dresse un état des lieux contrasté mais très intéressant de la situation des librairies indépendantes en Seine Saint Denis.

    Où en est le livre en France ?

    Tout d’abord, quelques données sur la diffusion du livre en général en France. On recense environ 6 à 7 000 structures d’édition, dont seulement 350 ont une activité significative, soit un C.A. (Chiffre d’Affaires) atteignant le seuil économique rentable. Nous disposons de 500 000 titres. Les plus grosses ventes concernent les encyclopédies et dictionnaires, suivis des B.D., en queue de peloton les ouvrages de sciences humaines. Ces derniers se vendent péniblement à quelques centaines d’exemplaires, quant les best-sellers atteignent plusieurs centaines de milliers d’exemplaires vendus.

    Les points de vente restent encore diversifiés (18 à 20 000), mais la plupart proposent un nombre de références très limité.

    Les achats se répartissent de la manière suivante :

    Les grandes librairies ou celles spécialisées ( + de 30 à 40 000 références) sont très prospectées par les diffuseurs et bénéficient d’un taux de remise important, en revanche les petites librairies (10 à 20 000 références) sont peu prospectées et ont un taux de remise très faible. La question de la remise est essentielle pour la rentabilité de ce commerce très fragile. En effet, le fournisseur est seul à fixer la marge du commerçant (remise) et parfois le relèvement d’un demi point aurait suffi à la rentabilité. Par ailleurs la rotation des stocks est très lente avec des immobilisations financières fortes et le personnel est important (accueil, conseil).

    Commerce et culture

    La loi Lang de 1981 a institué le principe de l’égalité du citoyen devant le livre avec un prix de vente unique sur tout le territoire, fixé par le producteur. Elle a favorisé le maintien d’un réseau de diffusion décentralisé et le pluralisme dans la création et l’édition. Conjuguée aux efforts de certains éditeurs, elle a ralenti la chute de la librairie indépendante, mais n’a pu l’enrayer.

    Le rôle du diffuseur est essentiel et l’importance de la “remise” conduit nombre d’entre eux à privilégier le quantitatif au détriment du qualitatif. Par ailleurs les phénomènes de concentration s’accélèrent : 6 distributeurs contrôlent 80% de la production. Hachette, à la fois éditeur, distributeur et vendeur, maîtrise à lui seul une part importante des points de vente. Ces phénomènes défavorisent énormément les librairies indépendantes qui représentent aujourd’hui moins du quart des ventes contre 35% en 90 et 40% en 80.

    Les 200 premières librairies n’atteignent pas, toutes ensemble, le C.A. de la FNAC (*).

    Cependant la librairie est plus qu’un commerce, c’est un acteur culturel et social qui joue un rôle important dans l’aménagement culturel du territoire et le renforcement du lien social. C’est ce qu’a bien compris le Conseil économique et social d’Ile de France qui voit dans “la disparition de nombreuses librairies un handicap pour la lecture et la perte d’un lieu de vie”

    Il préconisait en 2002 la création d’un Centre régional de la lecture et la mise en place d’aides publiques à la librairie.

    Et la Seine Saint Denis ?

    En Seine Saint Denis, cette situation est très accentuée, il y a un véritable sous développement du livre dans le 93, cependant il faut peut-être nuancer, car les librairies parisiennes très proches captent probablement une part de la clientèle. Néanmoins dans le 93, la part du C.A. “livre” (sources SODIS, Seuil et Editis), sur le C.A. total, est très inférieure à la part de la population du 93, sur la population totale ; de même le 93 est au 2ème rang pour le chiffre de la population en Ile de France et au dernier rang pour le nombre de points de vente de livres.

    La diffusion est largement dominée par la grande distribution, la majorité éditoriale en chiffres de vente provient de 3 grands centres commerciaux, alors que l’offre de titres est très limitée. Le C.A. a de plus tendance a se dégrader et la grande distribution gagne des parts de marché.

    Plusieurs communes n’ont pratiquement pas de points de vente : Dugny, La Courneuve, Romainville, Bobigny etc... Sur 140 points de vente en Seine St Denis, il n’existe que 7 librairies indépendantes :

    Folies d’encre à Montreuil, Gulliver à Villemonble, Folies d’encre à Saint Denis et aux Lilas, Arthur au Raincy, Folies d’encre à Saint Ouen et la dernière née, Les Mots passants à Aubervilliers.

    Des expériences militantes

    Pionnière en 1981, Folies d’encre de Montreuil a longtemps été isolée, jusqu’en 1995. C’était une véritable expérience militante, explorant des voies nouvelles. Par la suite elle a été un modèle et un soutien pour les autres créateurs. Les librairies indépendantes fonctionnent dans une logique de réseau pour éviter l’isolement ,ainsi les librairies Folies d’encre et celle d’Aubervilliers ; Arthur quant à elle est liée à Nogent sur Marne.

    Hormis l’expérience de Montreuil, toutes ont été ouvertes par des libraires confirmés ou des personnes formées dans le cadre d’un lien fort avec la commune d’accueil, mais partout la démarche militante est présente. Elles ont bénéficié du soutien de l’ADELC et parfois d’un soutien fort municipal (Aubervilliers, mise à disposition du local). L’ouverture d’une librairie suppose une mise de fonds importante (stock important qui, on l’a vu, ne tourne pas vite). C’est le fond, la découverte et l’exploitation des nouveautés qui permettent de tourner.

    Des points communs

    Toutes les librairies ont des superficies, et des effectifs comparables.

    Pour toutes, ce sont la littérature, la littérature jeunesse, les B.D, les sciences humaines et les beaux livres qui priment dans les rayons. La littérature représente la plus grande partie des ventes, mais aussi les témoignages, essais et actualité. Une grande partie de la vente est liée au conseil du libraire, celui-ci aboutit souvent à l’achat du livre en plus. 20 à 40% du C.A. sont liées aux commandes des clients. La vente aux collectivités est non négligeable, même si les réductions consenties diminuent la rentabilité de ces ventes et si, tous les libraires le soulignent, elles ne sont pas assez impliquées. Ainsi, à Montreuil, les commandes scolaires se font toujours auprès de grossistes.

    La clientèle est très diverse et représente la diversité de la population, ce qui ne veut pas dire que toute la population fréquente les librairies. Elle est plutôt féminine que masculine, même si certaines librairies connaissent des fréquentations de publics un peu plus spécifiques. Ce sont les personnes originaires du Maghreb et d’Afrique pour Saint Ouen, les enfants aux Lilas et le personnes âgées au Raincy. A Montreuil et à Aubervilliers on retrouve la diversité socio culturelle du public, même si Folies d’encre déplore la faible fréquentation des Maliens.

    Cependant, le panier moyen est très bas, sauf aux Lilas et au Raincy, 18 euros, contre 20 à 25 à Paris. Il faut du coup travailler plus et avoir plus de personnel de conseil, d’où les salaires très bas. Les actions commerciales sont très coûteuses, ces librairies privilégient des animations littéraires, plus économiques et ayant une plus value culturelle et sociale.

    Toutes sont entourées de grandes surfaces dont elles subissent la concurrence, mais pas tant que ça, le client sachant faire la différence. La concurrence se situe plutôt avec les librairies parisiennes. Cependant le fait d’avoir une librairie à proximité est apprécié et les relations avec le réseau parisien sont bonnes. Enfin il faut souligner que le paysage urbain banlieusard fait de “frontières” et de limites de toutes sortes ( autoroutes, limites communales, trajectoires de transports en commun...) est un véritable obstacle à la captation de certains clients.

    Quelle évolution envisager ?

    La tendance à “l’embourgeoisement” de certaines villes peut induire une augmentation de la clientèle, mais cela restera de toutes façon une activité fragile et faiblement rentable, dans des conditions de précarité certaine.

    La seule solution reste effectivement une aide plus importante des pouvoirs publics par une aide au démarrage, une mise à disposition de locaux, des commandes des bibliothèques, des établissements scolaires ou tout autre soutien.

    Gabrielle Grammont

    (*) Fabien Chaumard : “Le commerce du livre en France entre économie et culture”, 1998, Paris, L’Harmattan


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