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 Vous êtes ici: Accueil >  Sommaire des numéros parus >  N° 91 Mai 2007

Ecrire au poivron

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        La vie comme j’te pousse

        Bonjour, ma France

        Regards au ciel, soupirs catastrophés, pas besoin de mots, lundi matin sur le chemin de l’école.

    Cette solidarité au faciès, c’est un peu plus facile avec une bonne grosse présidentielle bien clivée qu’au lendemain du rejet de la Constitution européenne - on ne savait pas vraiment qui avait voté quoi, le 29 mai 2005. Bon, ils ne sont pas nombreux ceux qui faisaient encore semblant d’y croire, mais on cause quand même, pour évacuer.

    Moi, je me suis réveillé nettement en Sarkozie. Mec, la France, elle est de droite, qu’il m’est venu ! Je me surprends à subir une émotion aussi naïve, et puis je me creuse un peu. Mon premier bulletin de vote pour l’élection reine, c’est en 1981 : Mitterrand, c’était la gauche (de l’époque) qui mettait fin à 22 ans de présidence de droite sous la 5ème République ! Quand j’étais minot, dans la cour de la primaire, on s’interrogeait :

    — « Et toi, qu’est-ce tu veux faire comme métier plus tard ?
    — Moi, je serai généraldegaulle ! »

    Paf, lui balancer l’ambition maximum pour lui clouer le bec à l’autre, mon père il est plus fort que le tien. Mitterrand, quatorze ans de purge et de lavage de cerveau. Je ne sais pas ce que l’on prétendait sous les platanes scolaires en 1995, mais quand Chirac a enfin décroché la queue du mistigri, ça ne m’est pas apparu comme un retour à la normale, juste l’alternance dans un pays pas trop extrémiste. Et puis c’était une folle époque de cohabitations ! La France avait l’air de prendre soin de s’équilibrer, la balle vaguement au centre. Donc, là, franchement, c’était le tour de la gauche (celle d’aujourd’hui), non ?

    Voilà, avec Sarkozy et à 53 %, ce sont 26 ans d’illusions qui s’achèvent.

    Plus tard au collège, après la chute du Dieu gaullien, c’est la guerre et le nazisme qui m’obsédaient. Sûr que j’aurais été dans la Résistance, on a son indignation ! Un neveu, qui vient de toucher sa majorité (à peine trop tard pour atténuer la victoire de Sarko), annonce qu’avec ses copains ils vont prendre les armes. Révoltes convenues, on s’en doute. Mais qui sait ?

    Mon inquiétude d’aujourd’hui, c’est le potentiel soporifique du quotidien, l’aveuglement très progressif, l’engourdissement de nos sens maladroitement aiguisés à l’adolescence. Est-ce qu’en 1938, le nez sur le guidon, des gens tout ce qu’il y a de bien et réfléchissant n’ont pas pris pour des péripéties les signes avant-coureurs de la catastrophe ? Libres flics, arrestations dans les écoles, ministère de l’immigration et de l’identité, gène de la délinquance, dépistage des déviances dès trois ans, c’est quoi ? Un peu d’air brassé dans les coins, ou la lente dégringolade ?

    J’ai un copain de gôche qui me charrie : arrête de te la jouer, on est en 2007, en démocratie, Sarkozy ne pourra jamais faire n’importe quoi ! Après tout, c’est lui qui a la plus grande capacité à la faire bouger, cette grosse mollasse de France bloquée aux articulations. Le pire, c’est qu’il n’a pas tort.

    Patrick Piro


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