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 Vous êtes ici: Accueil >  Sommaire des numéros parus >  Année 2003 >  N° 56 décembre 2003

Ecrire au poivron

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        Débat sur le voile

        Ni soumission,ni exclusion

        Je suis conseiller principal d’éducation dans un lycée de Montreuil qui connaît un " problème de voile ". Un collègue enseignant a décidé, cette année, de refuser la présence à ses cours d’une élève dont tous les cheveux sont couverts d’un foulard (pas un voile).

    Débats, menaces, A.G., pressions, concertation, dialogue avec l’élève, avec sa famille, re-A.G., re-débats, re-re-A.G., toutes les idées ont été 100 fois échangées pour arriver à cette scène pénible . Un professeur déclare à une jeune fille qu’il la refuse en cours. Elle est sincèrement bouleversée, pleure, dit : « J’ai besoin de vos cours » Ils souffrent visiblement tous les deux.

    Alors moi, je cherche à échapper à l’alternative de faire souffrir l’un ou l’autre. Je ne veux pas devoir dire au collègue « Pierre, t’en as marre, tant pis pour toi, t’es fonctionnaire, débrouille-toi avec ta classe telle qu’on te la donne. ». Et je ne veux pas non plus devoir dire à Khadija « Pierre te vire de cours, mais ce n’est qu’un début. Demain par la loi, tu seras mise à la porte ! Ton frère ? II n’a pas une tenue incorrecte, lui, il peut donc continuer ses études. "

    Alors mon problème, justement, je le pose ainsi : comment lutter contre l’obscurantisme et l’oppression des femmes sans renforcer l’exclusion des jeunes femmes musulmanes. Le consensus culturel traditionnel a volé en éclats et il faut énoncer précisément les règles républicaines.

    Des textes réglementaires pour unifier les pratiques doivent remplacer le flou actuel qui laisse les acteurs démunis en face de la diversité des situations, et trop de place à l’arbitraire. Mais l’on ne pourra pas échapper à l’apparition d’une « zone-limite ». Et l’on ne pourra pas éviter que les adolescent-e-s cherchent à se confronter aux règles instituées, à les reconnaître, à les transgresser, à les détourner. II existera toujours, où que l’on situe la frontière, un espace de liberté entre celle-ci et la norme. C’est à l’intérieur de cet espace de liberté que se jouent les actes éducatifs.

    Pourquoi, dans le domaine vestimentaire, devrions-nous renoncer à tout espace éducatif de dialogue, voire de confrontation ? Pourquoi l’éducation, dans ce domaine symbolique, devrait-elle entièrement disparaître au profit du seul législatif, et en l’occurrence du seul répressif ? Derrière le costume, c’est la coutume qui apparaît. Et l’alternative rigide réapparaît : si l’on n’est pas pour une assimilation immédiate, des populations originaires d’ailleurs, on nous dit que l’on prône un communautarisme. Encore une fois, il faudrait choisir entre soumettre Khadija ou soumettre Pierre.

    La laïcité, ce n’est pas inné, l’égalité entre les hommes et les femmes non plus, il faut du temps et des actions déterminées pour y éduquer nos élèves. Nous devrions ne rien faire ou contraindre, nous dit-on. Mais quand enseigne-t-on ? Quand éduque-t-on ?

    L’histoire de la laïcité a-t-elle une place suffisante dans les programmes d’étude ? L’histoire des luttes des femmes, ici et ailleurs, pour leur émancipation est-elle réellement enseignée ? Si l’Education nationale ne joue pas son rôle d’enseignement, de formation et d’éducation, comment peut-on espérer proposer des alternatives à l’éducation traditionnelle familiale ou religieuse ?

    La loi, si une nouvelle loi est nécessaire pour définir les tenues interdites à l’école, devra être précise « au scalpel », et peut-être au centimètre près, pour éviter le piège grossier tendu par les mollahs. Ceux-ci cherchent à se placer en champions des droits de l’homme injustement victimes d’une discrimination, et à transformer les jeunes filles qui sont leurs victimes en martyres de la foi. Nous, acteurs du terrain, aurons à investir la zone de flou qui restera et à la gérer autrement que par l’exclusion. Une fois connues précisément les limites fixées par la loi, nous pourrons prévoir dans le Règlement intérieur les réponses locales à apporter à ces « cas-limites » Ce sera là l’ouverture d’un espace de dialogue, et éventuellement de punitions ou de sanctions légères et éducatives. La variété des actions éducatives est immense, alors pourquoi aujourd’hui se limiter à l’exclusion, seule sanction qui n’ait en l’occurrence aucune valeur éducative, qui n’ait que des désavantages ?

    Mais ne rêvons pas. Les propositions que je fais ici ont un défaut énorme. Elles donnent la priorité à la mission éducative de l’école. Les projets actuels de déstabilisation du service public d’éducation en vue d’une privatisation rampante et d’une diminution des coûts, plaisent beaucoup plus aux amis du Baron Ernest Antoine Seillière que le sort de Pierre et de Khadija.

    Jean-Marc Fert, novembre 2003

    Cet article est une suite d’extraits d’un témoignage de Jean-Marc FERT. Texte complet sur le site des Verts de Montreuil, http://verts.montreuil. free. fr/


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