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 Vous êtes ici: Accueil >  Sommaire des numéros parus >  Année 2005 >  N° 73 Septembre 2005

Ecrire au poivron

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        13 à la douzaine

        

    Vous ne devinerez jamais d’où Pascal m’a appelé, l’autre jour...

    Vous la connaissez, cette pub affligeante d’un opérateur de téléphonie mobile, flattant le « bobo » dans le sens de son menton savamment mal rasé : « Devine d’où je t’appelle ? » Il y a deux mois, un copain me fait le coup, dans le bigophone, et ça m’a fait un drôle de choc : de Winnipeg, dans le Manitoba, Canada profond. Assez naze, si ça avait été un bobo, on y roule beaucoup en tracteur dans les environs. Mais non, il s’agissait de Pascal. Ressortissant de la République démocratique du Congo. Quand il s’agissait encore du Zaïre, en pleine guerre civile, ce commerçant assez à l’aise - import export -, a été averti un triste potron-minet qu’on en voulait à sa peau. Il a tout plaqué, en deux heures, pour filer vers le Sud. Avec femme et... 12 enfants.

    Tant qu’on gagne sa vie, ma foi, plus en est de fous... Mais en galère, c’est une autre affaire. Tout ce monde arrive, à la suite d’un parcours dont j’ai oublié les nombreux méandres, en Afrique du Sud, à Johannesburg. Un peu gênés, les nouveaux patrons du pays : depuis la fin de l’apartheid, toute l’Afrique pense que l’Eldorado a enfin ouvert ses portes. Bref, la misère du monde s’ajoutant à la misère locale, Pascal et sa bande se sont retrouvés, après trois mois d’aide symbolique du gouvernement, au fond de la galère. Je les ai quitté l’an dernier avec une boule au fond du ventre, entassés dans une pièce unique dont le proprio allait les virer à la fin de la semaine faute de loyer payé. Ils étaient dignes, souriants même, bref, attachants. Ils ont même tenu à ce que nous fassions une photo avant mon départ.

    Sous leurs airs un peu résignés, ce sont de vrais tenaces. « Papa Pascal », comme il se nomme, a finalement obtenu... le regroupement familial, avec de vagues cousins installés à Winnipeg. Jugez un peu du calibre de la politique canadienne en la matière : on leur a payé à tous le billet d’avion,13 à la douzaine, pas de détail ni de compte d’apothicaire, procuré un logement, avec un an de loyer payé pour qu’ils aient le temps de subvenir à leurs besoins, sécurité sociale pour tous, école pour les enfants, etc. Bref, tant qu’à les faire venir, c’est pas pour les laisser mourir sur le sol canadien, « regroupés » mais indigents. Bien sûr, il va leur falloir apprendre la langue anglaise. Dur-dur...

    Ça m’a fait chaud au cœur, très concrètement. Et je me suis retrouvé à déblatérer avec lui sur la grande improbabilité d’un tel miracle en France, heureux de nous trouver si minables puisque tel espoir ailleurs il y avait ! D’un seul coup, c’est comme si la petite culpabilité tenace qui me poissait depuis un an venait de s’évaporer dans l’air léger de juin. Pascal m’a envoyé hier un courriel. Il a perdu mon numéro de téléphone. Comme si sa vie ne tenait plus, après tant de mois, à quelques chiffres ou une adresse improbable griffonnée sur un bout de papier sale.

    Patrick Piro


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